Il faut remonter au 8e siècle où des documents attestent l'existence de l'art des tapis arméniens. En effet, c'est entre 775 et 786 que l'écrivain et historien arabe Ibn-Khaldoun décrit les tapis d'Arménie rapportés à la cour du calife de Bagdad en guise de tribut annuel. Et, selon un voyageur arabe du 10e siècle, Ibn-Khavkal, la capitale de l'Arménie de l'époque, Dvin, était le centre de production de somptueux tapis. Selon une autre source d'origine arabe, une chronique d'Abou-Avn, le mot Kali (prononcer « khali »), qui signifie « tapis » dans tout le monde musulman, aurait pour origine le nom de la ville arménienne de Karin (Erzurum), connue pour les produits de son artisanat, plus particulièrement pour ses tapis. La déformation de Karin Karak(e) (« ville de Karin » en arménien) et El Kali (c'est-à-dire « de Karin » en arabe) a fini par donner le mot kali, employé comme synonyme de « tapis ». Enfin, pour parler du 12e siècle, Marco Polo décrivait dans ses relations de voyage les tapis d'Arménie comme les plus beaux du monde, d'après Nonna Stepanian dans son article à propos des tapis arméniens.
Le groupe des tapis du dragon est reconnu comme celui des plus anciens tapis qui nous soient parvenus. Cette expression vichapagorg (en arménien) a pour origine le mot vichap, mot archaïque signifiant « dragon », et gorg, « tapis ». Seuls quelques exemplaires sont actuellement conservés dans les musées de Berlin, Londres, Vienne, Budapest, d'Istanbul et du Caire. À Erevan, le Musée d'histoire d'Arménie, ainsi que le Musée ethnographique à Sardanapat en possèdent également de magnifiques et parmi les plus anciens.
L'originalité des vichapagorg a depuis fort longtemps attiré l'attention des chercheurs. La détermination de leur origine ainsi que leur datation n'ont pas manqué de provoquer des controverses, car ils ont une parenté évidente avec les tapis d'Asie centrale sur le plan de l'ornementation. Selon A. Sakissan, un des grands spécialistes en matière de tapis d'Orient, il est possible de reconnaître des motifs d'origine chinoise et byzantine parmi les éléments qui structurent le décor des vichapagorg les plus anciens. Selon ses recherches, le dragon ailé et la fleur de lotus stylisée, symbole de nature bouddhique, ont pu parvenir de Chine en Arménie à l'époque de l'invasion tatare, à la fin du 13e siècle et au début du 14e siècle. De fait, la représentation du lotus est encore aujourd'hui qualifiée par les artisans turcs de « khithayi », ce qui signifie « de Chine ». En revanche, la feuille double stylisée, qui rappelle la classique acanthe, est connue sous le nom de « roumi », soit « étranger » en arabe, c'est-à-dire «de Rome» et est d'origine byzantine.
L'historiographe des tapis arméniens, Nona Stepanian, note : « La réunion d'éléments si différents ne se réalisa que dans l'art arménien. Grâce à l'analyse de tapis plus récents, de la fin du 18e siècle et du début du 19e siècle, et à la lumière de l'étude des miniatures arméniennes, de la sculpture sur pierre et d'autres objets d'art contemporains des vichapagorg des 15e et 16e siècles, les spécialistes ont pu parvenir à la conclusion que ces tapis avaient été tissés en Arménie. Leur datation est basée sur leur représentation dans la peinture florentine et vénitienne des 14e et 15e siècles. Le premier chercheur qui s'est penché sur l'étude des vichapagorg, W. Bode, puis à sa suite A. Riegel, estiment que la gamme de couleurs très particulière des vichapagorg importés en Italie, puis en Hollande, a exercé une certaine influence sur la palette de tous les peintres européens. »
Sources et inspiration : BÉRINSTAIN, Valérie, et al. L'art du tapis dans le monde, Paris, Mengès, 1996, 378 p. ; JERREHIAN JR., Aram K. A. Oriental Rug Primer, Philadelphie, Running Press, 1980, 223 p. ; HERBERT, Janice Summers. Oriental Rugs, New York, Macmillan, 1982, 176 p. ; HACKMACK, Adolf. Chinese Carpets And Rugs, Rutland et Tokyo, Tuttle, 1980, 45 p. ; DE MOUBRAY, Amicia. et David BLACK. Carpets for the home, London, Laurence King Publishing, 1999, 224 p. ; JACOBSEN, Charles. Oriental Rugs A Complete Guide, Rutland et Tokyo, Tuttle, 1962, 479 p. ; BASHIR, Shuja. communication personnelle, s.d. ; Sources de sites web et dates de consultation variées (à être confirmées). Utilisé sous toutes réserves.